Irrégularités, dette colossale, conflits d’intérêts : l’affaire qui secoue les caisses sociales Plusieurs entreprises de la FEG siégeant illégalement. La nomination d’Alain-Claude Kouakoua à la présidence de la FEG, malgré une révocation passée et une dette de 1,3 milliard FCFA à la CNAMGS, met en lumière un système à bout de souffle. L’ANAREG tire la sonnette d’alarme sur une gouvernance en crise et interpelle les autorités. La Ve République est-elle prête à trancher ? La nomination récente d’Alain-Claude Kouakoua à la tête de la Fédération des Entreprises du Gabon (FEG) a déclenché une vague d’indignation dans les milieux sociaux et économiques. Derrière ce choix controversé se dessinent des pratiques de gouvernance remises en cause, notamment au sein de deux institutions clés du système de protection sociale gabonais : la CNSS et la CNAMGS.
Succédant à Henri-Claude Oyima, nommé ministre de l’Économie, Alain-Claude Kouakoua a été désigné président du patronat gabonais malgré un passé administratif chargé. Révoqué en mars 2021 de la présidence du Conseil d’administration de la CNAMGS, il a pourtant repris ses fonctions dans des conditions jugées irrégulières par de nombreux observateurs. Aucune base légale ne semble justifier son retour, ce qui alimente les soupçons de traitement de faveur. Le cas Kouakoua devient d’autant plus problématique que sa société, MIKA SERVICES, affiliée à la FEG, est redevable de plus de 1,3 milliard de francs CFA à la CNAMGS, au titre de cotisations sociales impayées depuis 2015. Or, en tant que président du Conseil d’administration de cette même caisse, Kouakoua dispose d’un droit de regard sur les remises gracieuses de pénalités. Ce cumul de fonctions, dans un contexte de dette non apurée, représente un conflit d’intérêts évident, pointé du doigt par plusieurs acteurs du secteur social.
L’ANAREG dénonce une dérive systémique
Dans une correspondance officielle adressée le 12 juin à la ministre des Affaires Sociales et des Solidarités Nationales, l’Association Nationale des Retraités du Gabon (ANAREG) alerte sur les nombreuses irrégularités constatées au sein des conseils d’administration de la CNSS et de la CNAMGS. Selon l’association, plusieurs représentants du patronat, bien qu’issus d’entreprises lourdement endettées envers ces caisses, continueraient de siéger en violation de l’article 13 du décret n°0075/PR/MAS du 14 février 2024, qui interdit formellement aux employeurs débiteurs de participer aux organes décisionnels. Par ailleurs, des retraités, anciens agents de la CNSS, siègeraient toujours au sein de son conseil d’administration sans fondement juridique, ce que l’ANAREG considère comme une atteinte à la légalité et à l’éthique de gestion.
Une CNAMGS minée par les abus
Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Selon un rapport interne du nouveau directoire de la CNAMGS, l’institution est minée par des dérives multiples : pharmacies fictives, surfacturations massives, contrats opaques avec des sociétés étrangères sans compétence avérée dans le domaine de la santé. Le cas d’une officine à Lambaréné ayant facturé des montants bien supérieurs à ceux des plus grandes pharmacies de Libreville est cité comme emblématique. Dans ce contexte, le refus du Conseil d’administration toujours présidé par M. Kouakoua, d’adopter le budget 2025 apparaît comme un obstacle délibéré à toute tentative de redressement. Certaines pharmacies proches du patronat exerceraient, selon plusieurs sources, une forme de chantage, craignant la fin de circuits financiers illégitimes. Pour beaucoup, ce dossier est plus qu’un simple scandale : il représente un test majeur pour la Ve République gabonaise, incarnée par le président Brice Clotaire Oligui Nguema. Ce dernier a fait de la lutte contre la corruption et de la moralisation de la vie publique un pilier de son mandat. Face aux attentes croissantes de l’opinion et aux appels des organisations comme l’ANAREG, le chef de l’État devra choisir entre la continuité d’un système discrédité ou une rupture nette au nom de la transparence et de l’intérêt général. Dans sa lettre, l’ANAREG formule trois recommandations principales : une clarification des règles d’éligibilité aux conseils d’administration, la suspension ou révocation des membres en infraction, et l’ouverture d’une concertation avec les représentants des retraités. Une démarche qui vise à rétablir la confiance dans les institutions sociales, à l’heure où les défis en matière de justice sociale sont immenses. Depuis 2015, la société MIKA SERVICES n’aurait versé aucune cotisation à la CNAMGS, malgré son obligation légale. La dette accumulée dépasse aujourd’hui 1,3 milliard FCFA. Ce cas soulève une double problématique : l’impunité des grands débiteurs et l’impact de ces impayés sur la pérennité du système de santé solidaire.