Alors que le Gabon s’engage dans les premiers mois d’un septennat placé sous le signe de la refondation, un malaise silencieux semble gagner peu à peu l’opinion. Dans les quartiers populaires comme dans les cercles intellectuels, une même interrogation revient : où est passée la promesse du renouveau ? Une promesse qui portait l’espoir d’un pays plus juste, plus équitable, plus transparent. Or, dans les actes, le pouvoir semble s’enfermer dans un autre registre, celui du « temps politique », érigé comme boussole, alors qu’il apparaît déconnecté des aspirations profondes de la population. Le chef de l’État n’avait nul besoin de convoquer le « temps politique » , glissement sémantique pour illustrer la création d’une plateforme politique , vu comme une priorité. Cette formule, aux accents technocratiques et abstraits, trahit une inquiétante méconnaissance des attentes urgentes et concrètes des Gabonais. Ce que réclame le peuple, ce n’est ni un agenda institutionnel, ni des débats de palais, mais un horizon tangible : une formation digne pour ses enfants, un emploi pour les jeunes, un toit salubre et accessible, des soins de santé à portée, une justice sociale incarnée dans les politiques publiques. Or, pour nombre de concitoyens, les signaux envoyés par le pouvoir depuis quelques semaines laissent penser que ces priorités vitales ne sont plus en haut de l’agenda. L’exemple le plus frappant reste celui des projets immobiliers, menés sans transparence ni vision d’ensemble. Ces projets ne visent pas les populations défavorisées ou les classes moyennes en quête d’un premier logement. Ils sont conçus pour quelques apparatchiks bien introduits, parfois tapis au Palais, captant des rétrocommissions par réseaux interposés, ou pour des partenaires d’affaires issus du Moyen-Orient, spécialistes de la spéculation immobilière et du recyclage de fonds opaques.
Il y a plus préoccupant encore : certains des hommes d’affaires qui fourmillent aujourd’hui dans l’entourage du chef de l’État, bénéficiaires des voyages officiels à l’étranger, sont rattrapés par des conflits d’intérêts innommables, décriés publiquement par des regroupements syndicaux. Ces entrepreneurs douteux jouissent de surcroît de l’attribution préférentielle de marchés d’État. Leur omniprésence et leur proximité avec les centres de décision posent la question de la moralité du dispositif économique actuel. Ces opérateurs économiques, responsables de la banqueroute de nombreuses PME locales (cas de Henri Marc Ontchangalt et Armel Venga, victimes de ce lobby) incarnent un capitalisme de connivence, excluant, inégalitaire, destructeur pour le tissu productif national. La création de la richesse devrait être inclusive ; elle devient ici l’apanage de quelques prédateurs. La fracture sociale n’a pas été comblée : elle se creuse davantage. Le septennat qui commence devait marquer une rupture. Rupture avec les inégalités d’accès à l’emploi, avec la formation à deux vitesses, avec un système de santé où les caravanes médicales, certes utiles, ne peuvent compenser le naufrage des hôpitaux publics. Or, de l’avis de nombreux Gabonais, rien dans la trajectoire actuelle ne semble aller vers un véritable redressement de ces priorités fondamentales. Pire encore : certains choix économiques relèvent du non-sens, comme celui révélé au Conseil des ministres du 4 juin dernier à propos d’Algest-Rothschild. Pourquoi se précipiter dans une configuration dont on n’a pas pris la peine d’analyser les échecs ailleurs ? Pourquoi reproduire des schémas dont les seuls bénéficiaires sont des cabinets d’expertise internationaux et quelques relais locaux ?
Derrière l’apparente technicité des décisions, on observe une dissonance grandissante. Une dissidence feutrée se dessine au sein même du dispositif en charge de l’économie, comme si des logiques divergentes traversaient les cercles décisionnels. Cela interroge sur la cohérence du projet initial. Où est passée la feuille de route du septennat ? Où sont les engagements initiaux sur la transparence, la redevabilité et la rigueur budgétaire ? Il est donc temps , urgent même , de revisiter le cap. La confiance populaire issue de la présidentielle d’avril 2025 est massive : 94,85 %. Mais cette confiance n’est pas un blanc-seing. Elle est assortie d’une exigence de résultats, d’une attente d’équité, d’un rejet des privilèges indus. Le peuple gabonais n’a pas demandé un recyclage du passé sous une façade rénovée. Il a voulu un changement profond, visible, durable. Et si les attentes ne sont pas entendues, cette confiance pourrait rapidement se muer en frustration. Pire, en colère. Un septennat ne se gagne pas sur des slogans, ni sur des effets d’annonce. Il se bâtit jour après jour, à travers des décisions en phase avec les priorités populaires. Aujourd’hui, la priorité n’est pas le « temps politique » : c’est le temps social, économique, humain. Celui de l’emploi, de la formation, de l’accès aux soins de santé, de la lutte contre la précarité, de la réhabilitation des services publics, de la moralisation de la commande publique. Il est encore temps d’inverser la tendance. Mais pour cela, il faut cesser de se regarder dans le miroir de l’autosatisfaction et se confronter aux réalités vécues. Le terrain parle. Les frustrations montent. Les alertes sont là. Et c’est maintenant qu’il faut agir. Car l’histoire n’attend pas.