Les compteurs sont remis à zéro depuis le 3 mai dernier, date de la prestation de serment du président, Brice Clotaire Oligui Nguema, donc date de la fin de la transition et de début de la Ve République. Cela signifie qu’au moment de dresser le bilan du chef de l’Etat, parce que désormais plus aucun détenteur de responsabilités publiques n’échappera à cet exercice, il ne sera pas tenu compte des réalisations pendant la transition. Le bilan de la transition a été fait par le général Oligui Nguema le 3 mars, le jour de sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle. C’est sur cette base que les Gabonais l’ont plébiscité le 12 avril dernier, en plus du Coup de la libération, qui les a sortis le 30 août 2023 d’une longue période d’obscurantisme doublé d’un pillage organisé des richesses nationales par un groupuscule qui s’était agrippé à l’Etat comme le ferait une sangsue insatiable.
Cependant, l’on pourra se réjouir de la cité de la Démocratie new look. Le Gabon escompte accueillir au même endroit le sommet de l’Union africaine (UA) en 2027, un demi-siècle après celui de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’UA). Il ne sera pas non plus interdit d’admirer l’échangeur du camp de Gaulle. Au fur et à mesure que le chantier avance, la différence commence à se faire jour avec les échangeurs de l’ère de « l’Emergence» (les deux septennats d’Ali Bongo Ondimba), que les Gabonais appellent par dérision « les ponts » ou « les toboggans ».
Certes, mais échaudés par les nombreuses premières pierres posées à travers leur pays, les Gabonais attendent la réalisation de Libreville 2 et de l’aéroport d’Andem, par exemple. Sans oublier la construction de la voie ferroviaire Belinga-Mayumba. Quant au port en eau profonde dans cette localité située au Sud, non seulement il servira à l’exportation du produit de l’immense gisement de fer de Belinga, mais en plus il permettra au pays de soutenir la concurrence face aux ports de Pointe-Noire, au Congo, et Luanda, en Angola. Les bénéfices socio-économiques sont énormes en termes de création d’emplois, donc de lutte
contre le chômage, et d’augmentation du pouvoir d’achat des populations. Le président de la République a également rendez-vous avec ses compatriotes sur le terrain de la construction des écoles, des hôpitaux, des logements sociaux et des routes, entre autres infrastructures de base. En réalité, les attentes vis-à-vis de Brice Clotaire Oligui Nguema sont énormes et variées. En dehors des chantiers matériels, il y en a d’autres qui relèvent de l’abstrait, notamment les mentalités. A l’issue de son passage à la tête du pays, il serait bien que le chef de l’Etat se targue de lui avoir laissé une âme. Lui qui a vécu au Sénégal a pu se rendre compte que Léopold Sédar Senghor, le premier président, n’a pas construit des édifices gigantesques et ultra -modernes, mais qu’il a imprimé le patriotisme, le renoncement, l’abnégation et l’amour des choses de l’esprit. Son successeur et non moins filleul, Abdou Diouf, a marqué les esprits par sa grandeur, en permettant au Sénégal de devenir un modèle de démocratie.
Au Gabon, le président élu à 94,85 % devra combattre le tribalisme, le népotisme et le favoritisme, pour installer la méritocratie. Il est temps que dans ce pays, quand il s’agit de recrutement ou de promotion, le CV ou les états des services parlent à la place du nom ou de l’ethnie. A propos de la référence au nom, les tribalistes commencent à avoir la tâche difficile avec les enfants issus des mariages mixtes. Un journaliste gabonais avait même proposé qu’il soit instauré une prime ou des facilités au profit des éléments des couples mixtes, pour favoriser ce type d’unions et ainsi lutter contre le repli identitaire. Après plusieurs scandales financiers, y compris sous la transition alors que l’on croyait certaines pratiques révolues, Brice Clotaire Oligui Nguema est appelé à faire œuvre de pédagogie pour amener le Gabonais à savoir se tenir face au bien public. Il n’est pas acquis que le patriotisme viendra par le seul chant de l’hymne national ou par la levée des couleurs tous les lundis matin. La sanction exemplaire infligée à quiconque se rend coupable de gabegie ou, pire encore, de malversations, quelle qu’en soit la nature, peut également y contribuer. En conséquence, elle doit être envisagée. Le bilan du président Oligui Nguema ne consistera pas seulement à compter les édifices publics. Qu’il veuille bien le faire comprendre à l’ensemble de ses collaborateurs, proches ou éloignés.