Les élections du 27 septembre dernier se présentaient comme l’occasion d’une réconciliation sous plusieurs angles. Les Gabonais allaient se réconcilier avec le fait de voter, tant, depuis les législatives consécutives à la conférence nationale, en septembre 1990, les scrutins politiques se sont toujours mal déroulés. Il était également attendu que les Gabonais se réconcilient entre eux, tant ils sont toujours sortis divisés des échéances électorales. Le pays allait enfin se réconcilier avec lui-même. Force est de reconnaître que, malheureusement, aucune de ces hypothèses n’a été vérifiée. Les cris d’orfraie, les vociférations et les recours introduits auprès des juridictions compétentes ont tendance à accréditer la thèse d’un désenchantement, après les espoirs suscités au lendemain du coup d’Etat du 30 août 2023 et pendant la transition. Les jongleries politiques et les alliances contre-nature en vue du second tour des législatives ajoutent au dépit. La montagne ayant accouché d’une souris, chaque citoyen se sentant abusé va chercher le moyen d’obtenir réparation. En politique comme dans la vie courante, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Alors que les élections générales auraient pu valoir au gouvernement un état de grâce, deux corporations brandissent la menace d’une grève. Les enseignants-chercheurs de l’Université Omar Bongo et les magistrats ont donné de la voix. Il est à craindre qu’ils fassent des émules et que le pays connaisse des lendemains électoraux tumultueux.
En effet, au fil des jours, les fonctionnaires se demanderont pourquoi ils devraient se retenir, quand l’élite politique, elle, fait preuve de désinvolture et même de cynisme. Les agents publics, toutes branches confondues, ont plusieurs dossiers en instance, entre les intégrations, les titularisations, les avancements automatiques, les reclassements, les rappels de solde et les départs à la retraite. La récente sortie de la ministre de l’Education nationale n’est pas pour arranger les choses. En poste depuis cinq ans, c’est-à-dire déjà sous le régime déchu, elle donne l’impression de découvrir seulement maintenant que plusieurs centaines de fonctionnaires de son département perçoivent un traitement mensuel alors qu’ils sont absents de leur poste depuis belle lurette. La découverte a de quoi surprendre, dans la mesure où plusieurs opérations de recensement des fonctionnaires de l’Education nationale ont été organisées entre-temps. Si le fait que dénonce la ministre est avéré, nul doute que les contrôles n’ont pas été menés avec la rigueur requise. Manifestement, les fonctionnaires indélicats ont bénéficié d’une complicité. Ici, la responsabilité de la ministre est engagée, d’autant plus que Camélia Ntoutoume Leclercq a la réputation d’être un thuriféraire d’un système fondé sur le clientélisme, le favoritisme, les passe-droits et le népotisme. Les uns bossent tandis que les amis des puissants se la coulent douce. La fonction publique gabonaise est minée par des injustices qui provoquent des frustrations. Il en résulte le désengagement des agents, qui a pour conséquence la médiocrité du service public dont se plaignent les usagers et les dirigeants, les seconds ayant une part de responsabilité et ne faisant pas grand-chose pour y remédier, en dehors des sempiternelles incantations.
Comme les élections du 27 septembre n’ont pas permis la paix des cœurs, les mouvements dans le secteur public pourraient inspirer le privé, où, en plus de la crise économique, les disparités de revenus mettent les travailleurs sur les nerfs. Nombre de dirigeants d’entreprises qui mènent grand train ont des accointances avec le système, à défaut d’en être les acteurs. Même si en tant que collaborateur d’Omar Bongo Ondimba, l’actuel président de la République a déjà vécu une situation de mécontentement généralisé au lendemain d’élections marquées par une fraude grossière, il n’en demeure pas moins que les contextes et les acteurs ne sont pas les mêmes. Peut-être le baptême du feu pour Brice Clotaire Oligui Nguema, après deux années d’une forme d’insouciance. Avis de gros temps.