Un jugement conforme au droit, non à l’émotion. Le mythe de la Convention de Bata. Ni capitulation, ni négligence. Une leçon pour l’avenir, pas une cicatrice honteuse. Ce qui reste, c’est l’État.
Il est des décisions judiciaires internationales qui, bien qu’attendues, continuent de heurter les consciences collectives longtemps nourries de récits patriotiques. Celle rendue par la Cour internationale de justice (CIJ) le 19 mai dernier sur le différend opposant le Gabon à la Guinée équatoriale au sujet des îles Mbanié, Cocotiers et Corisco en fait partie. Depuis ce verdict, les incompréhensions ne cessent d’enfler dans les foyers, les médias et sur les réseaux sociaux. De nombreuses Gabonaises et de nombreux Gabonais peinent à accepter ce qu’ils perçoivent comme une spoliation, une trahison, voire une faiblesse de notre diplomatie. Il est urgent de rétablir les faits et de comprendre ce que dit et ne dit pas cette décision.
La CIJ, juridiction la plus élevée en matière de contentieux entre États, ne rend pas de décisions politiques ou émotionnelles. Elle juge sur la base des traités, des faits historiques et des preuves tangibles. Ce qu’elle a affirmé, c’est que le Gabon n’a pas pu démontrer, de manière juridiquement recevable, sa souveraineté sur les îles en question. Il ne s’agit pas d’un “retrait” de terres que nous possédions, mais d’un arbitrage entre deux prétentions, au bénéfice de celle dont les fondements historiques étaient mieux étayés dans les règles du droit international.
L’argument central du Gabon reposait sur ce que l’on appelle communément la « Convention de Bata »de 1974. Ce document supposé sceller un accord entre le président Omar Bongo et son homologue équato-guinéen Francisco Macías Nguema n’a pas convaincu la Cour. Pourquoi ? Parce que ce texte n’a jamais été ratifié, ni évoqué dans les relations diplomatiques ultérieures, ni enregistré aux Nations unies. Pour le droit international, il est inexistant. C’est un point crucial que nous devons comprendre : une intention politique, si elle n’est pas formalisée selon les règles internationales, n’a aucune valeur juridique opposable.
Il serait tentant de pointer une faute de notre représentation juridique ou de notre diplomatie. Ce serait injuste et simpliste. Le Gabon a, au contraire, choisi la voie de la légalité internationale, ce que peu de pays en conflit frontalier osent faire. Accepter la compétence de la CIJ, c’est faire preuve de maturité souveraine, même si cela implique une décision défavorable. Les juges ne se prononcent pas sur les sentiments nationaux, mais sur les droits légaux.
Ce verdict est une leçon. Il nous rappelle que la souveraineté ne se décrète pas, elle se documente, se défend et se codifie selon les règles du droit. Il faut désormais bâtir une politique diplomatique et documentaire rigoureuse pour éviter à l’avenir que d’autres pans de notre territoire historique ne se retrouvent dans une incertitude juridique. C’est aussi une invitation à former nos élites au droit international, à numériser nos archives coloniales, et à anticiper tout conflit de souveraineté avec méthode.
Au terme de cette affaire, le Gabon n’est pas amoindri, il est éprouvé mais debout, parce qu’il a respecté le jeu du droit. Et cela compte. Nos institutions ont montré qu’elles pouvaient dialoguer avec le monde sur des bases pacifiques et responsables. À celles et ceux qui, légitimement blessés, veulent comprendre, il faut dire ceci : ce que nous avons « perdu », c’est une prétention non consolidée. Ce que nous avons sauvé, c’est notre honneur républicain, notre cohérence internationale et notre capacité à tirer les leçons du passé pour bâtir l’avenir.