Ne pas sacrifier le changement des mentalités sur l’autel des gratte-ciel

Ces trois dernières semaines, des bulldozers sont en mouvement dans le Grand Libreville, en train de faire place nette. Ici et là, ils n’en finissent pas de casser des habitations et des commerces se trouvant dans des zones déclarées d’utilité publique. Selon la communication officielle, du reste d’un amateurisme inexcusable de nos jours, ces espaces sont destinés à la construction de boulevards, de cités administratives et de gratte-ciel. Dieu sait que la capitale gabonaise, ne serait-ce qu’elle, en a tant besoin. Libreville d’aujourd’hui ne peut plus soutenir la concurrence face à la majorité des capitales des pays africains. Pour autant, non seulement il y a à redire sur la façon dont le déguerpissement se fait, mais en plus, et cela doit être dit sans circonvolutions, il y a également un grand travail d’embellissement à faire sur le plan des mentalités. Il est aussi urgent que l’aménagement de la capitale. Il est fort souhaitable qu’il se fasse concomitamment. De l’aveu de l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima, dans un récent post sur ses réseaux sociaux, les déguerpissements auxquels les Gabonais assistent étaient prévus de longue date. Pourquoi, alors, le ministre de l’Habitat n’a-t-il pas jugé utile de se rapprocher des personnes visées, afin qu’elles prennent leurs dispositions et que, en conséquence, soit évitée la désolation qui s’offre à l’opinion actuellement ? La précipitation est telle que le ministre a été incapable de dire, sur le plateau de télévision, qui avait reçu des indemnisations avant l’opération. Le cafouillage règne jusqu’à présent. Pourquoi l’actuel maire de Libreville, membre du gouvernement sortant, donc informé de l’imminence de l’opération, n’a-t-il pas pris le soin de communiquer avec ses administrés avant le démarrage de la casse ? Tout souhaitable qu’elle soit, cette entreprise de modernisation de la capitale froisse la dignité des gens et donne lieu à des supputations où circulent des thèses de duperie et de bradage du domaine public à des hommes d’affaires. Que cache-t-elle ? C’est la question qui revient le plus, sur fond de suspicion et de soupçon de gros intérêts financiers. Quoi qu’il en soit, les opérations en cours déteignent sur le président de la République. L’ayant remarqué, Brice Clotaire Oligui Nguema a dû aller sur le site de Pleine-Orety consoler ses compatriotes qui se sont retrouvés à la rue du jour au lendemain. Chef du gouvernement, il se voit obligé de faire le travail de recensement qui aurait dû être effectué au préalable. On aurait pu éviter ça. Ce n’est pas la première fois qu’on casse à Plaine-Orety, par exemple. Il en a été ainsi pour construire le palais de l’Assemblée nationale. Seulement, à l’époque, les choses avaient été bien menées en amont. Le gouvernement avait construit des logements sociaux au préalable à Nzeng-Ayong et viabilisé des espaces à Awoungou (dans l’actuelle commune d’Owendo) pour les personnes qui avaient reçu des indemnités. En conséquence, il n’eut pas autant de bruit et d’amertume que maintenant.

Il est vrai que la casse en cours, c’est pour une ville avenante les jours à venir. A moins que le pays renoue avec ce que l’opinion appelle couramment « les éléphants blancs », c’est-à-dire les projets inachevés. Le Gabon collectionne les premières pierres sans suite. Dans la vaste entreprise de construction du Gabon, il ne faut pas oublier les mentalités. Abdoulaye Wade et son fils spirituel Macky Sall ont commis cette erreur. Grands bâtisseurs, les deux derniers présidents sénégalais sont malheureusement sortis par la petite porte. Leurs mandats ont été émaillés de scandales et marqués par le désir des dirigeants de s’accrocher au pouvoir coûte que coûte. Là où Léopold Sédar Senghor a brillé par l’attachement aux valeurs morales. L’absence de conviction qui caractérise bon nombre des profito-situationnistes qui s’apprêtent à adhérer à la plateforme politique présidentielle, si celle-ci voyait le jour sous la forme d’un parti, est un mauvais augure. Au Gabon, le manque de patriotisme, le népotisme, le repli identitaire, le sectarisme et la concussion, entre autres maux, doivent être combattus vigoureusement. Les membres du gouvernement, en ce qui les concerne, peinent toujours à intégrer qu’ils sont ministres de la République. Au Gabon, dire « ministre de la République » est même un pléonasme car il n’existe que le gouvernement de la République.

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