Dans les profondeurs verdoyantes de la province du Haut-Ogooué, à une cinquantaine de kilomètres de Franceville, se trouve un trésor patrimonial aussi spectaculaire que discret : le pont de lianes de Poubara. Suspendu au-dessus du fleuve Ogooué, à quelques pas des fameuses chutes du même nom, ce pont entièrement tressé de lianes vivantes incarne l’ingéniosité traditionnelle et la mémoire culturelle d’une communauté.
Construit pour la première fois en 1915 par un homme nommé Mvouzangoye Moussikoué, ce pont répondait à une nécessité pratique : traverser l’Ogooué sans risquer sa vie en pirogue, notamment durant les crues. Long de 52 mètres, il est entièrement fabriqué avec environ 2 400 lianes tressées à la main, sans clous ni métal. À lui seul, cet ouvrage démontre l’intelligence écologique et le savoir-faire technique des peuples de la région, capables de créer une infrastructure résistante à partir de matériaux 100 % naturels.
Aujourd’hui, c’est le petit-fils de Moussikoué, Freddy Omoumba, qui en est le gardien. Chaque année, le pont est refait dans les règles de l’art, avec l’aide d’une équipe de villageois. Ce rituel n’est pas simplement technique : il s’accompagne de cérémonies et de bénédictions traditionnelles, rappelant que ce pont est aussi un symbole sacré de lien entre les générations. Les visiteurs paient un droit de passage – environ 5 000 FCFA par personne – qui sert à financer son entretien. Aucune subvention étatique permanente ne soutient l’ouvrage : sa préservation dépend de la communauté et de la reconnaissance qu’on lui accorde.
Sur le plan touristique, le pont de lianes de Poubara est une expérience inoubliable. Traverser un pont souple, vivant, vibrant au rythme du vent et de l’eau, procure à la fois frisson, émerveillement et respect. En toile de fond, les chutes de Poubara offrent un spectacle naturel saisissant, renforçant la dimension immersive du lieu. De nombreux visiteurs – locaux comme étrangers – en font une étape incontournable lors d’un séjour dans le sud-est du Gabon.
Plus qu’un simple site pittoresque, ce pont est une véritable école à ciel ouvert. Les guides locaux expliquent comment sont choisies les lianes, comment elles sont tressées, et pourquoi ce savoir mérite d’être classé au patrimoine national. En 2018, le ministère de la Culture avait d’ailleurs recommandé de le classer comme patrimoine culturel gabonais. Un projet de soutien officiel a été relancé en 2024, avec notamment la remise de gilets de sauvetage pour les visiteurs et un appui présidentiel au financement de l’entretien.
Lieu de passage, mais aussi de mémoire, le pont de Poubara relie bien plus que deux rives : il relie le passé et le présent, la nature et la culture, l’humain et le sacré. Un pont vivant, dans tous les sens du terme, qui mérite de rester debout, tressé de respect et d’avenir.