L’interpellation du journaliste Harold Thibault Leckat Igassela, directeur de publication du média en ligne Gabon Media Time (GMT), suscite une vague d’indignation au sein de la presse gabonaise et au-delà des frontières.
Arrêté le 15 octobre 2025 à sa descente d’avion à l’aéroport international Léon Mba de Libreville, le journaliste revenait d’une formation professionnelle à Montpellier, organisée par la plateforme afro-européenne Médias & Démocratie (M&D). Selon plusieurs sources, Harold Leckat a été interpellé par des agents de la Direction générale des recherches (DGR) avant d’être placé en garde à vue. Présenté deux jours plus tard au procureur de la République, il a vu sa détention prolongée. Une décision que l’ONG SOS Prisonniers Gabon estime liée à la volonté du parquet de compléter son dossier d’enquête. Mais au-delà de la procédure, les conditions de détention du journaliste soulèvent de vives préoccupations. Des proches affirment qu’il serait contraint de dormir sur une chaise depuis son arrestation, une situation qui, si elle se confirmait, violerait clairement les normes régissant la garde à vue.
Aucun motif officiel n’a été communiqué pour justifier cette arrestation spectaculaire. Selon Gabon Media Time, un accord aurait pourtant été trouvé avec la DGR pour reporter une audition initialement prévue avant le départ du journaliste pour la France. Cette version des faits soulève une question de fond : fallait-il vraiment recourir à une arrestation aussi brutale à l’encontre d’un professionnel connu, identifiable et disposé à coopérer avec la justice ? Pour la plateforme Médias & Démocratie, organisation qui a formé le journaliste en France, cette interpellation reflète « une pression inquiétante exercée sur la presse indépendante au Gabon ». L’organisme rappelle que Harold Leckat faisait partie d’un groupe de dix journalistes gabonais et camerounais formés sur la couverture numérique de l’actualité, dans un programme soutenu par l’Ambassade de France et le ministère gabonais de la Communication.
La profession réclame des explications
Face à ce qu’elle qualifie d’« interpellation brutale et incomprise », l’Association des Professionnels de l’Information et de la Communication du Gabon (APIC-GABON) a réagi dès le 17 octobre. Dans un communiqué, elle s’interroge sur la nécessité d’une telle procédure alors que le journaliste « offrait toutes les garanties de représentation ». L’organisation appelle la justice à plus de transparence et d’indépendance, tout en rappelant que la dépénalisation du délit de presse, consacrée par la loi gabonaise depuis 2018, demeure un acquis à préserver. Même position du côté de l’Organisation patronale des médias du Gabon (OPAM), qui dénonce « la méthode cavalière » employée par la DGR et rappelle que « la liberté de la presse ne se négocie pas : elle se protège et se renforce ».
Soutiens internationaux
Au-delà des frontières, la solidarité s’organise. La journaliste Dominique Tchimbakala, marraine de la promotion dont faisait partie Harold Leckat, a exprimé sur les réseaux sociaux sa vive inquiétude : « Il revenait de Montpellier où il participait à une formation sur le journalisme numérique. Son arrestation sans motif officiel est un signal alarmant pour la liberté de la presse au Gabon. » Même préoccupation du côté de Julia Montfort, responsable pédagogique à l’ESJ Pro Montpellier, qui se souvient d’un journaliste lucide sur « les risques liés à la pratique du métier au Gabon ». Reporters sans frontières (RSF) et Olivier Piot, cofondateur de Médias & Démocraties, ont également dénoncé un « climat délétère » pour la presse indépendante gabonaise. L’affaire Harold Leckat dépasse aujourd’hui le simple cadre judiciaire. Elle interroge la solidité des garanties démocratiques dans un pays qui s’est engagé à promouvoir la liberté de la presse. Entre opacité de la procédure, conditions de détention dénoncées et mutisme des autorités, cette interpellation prend des allures de test pour la justice gabonaise mais aussi pour la crédibilité de l’État dans sa promesse de protéger les droits fondamentaux.