Ce lundi matin, à 9h30, le siège de Gabon Media Time (GMT) a servi de cadre à une conférence de presse d’un ton grave et solidaire. Autour de la table, un collectif de structures représentatives du monde médiatique, le CPPL, l’OPAM, le RENAJI, l’UPF-Gabon, Médias & Démocratie et RSF-Gabon a tenu à exprimer publiquement son inquiétude et sa colère face à la situation judiciaire de leur confrère Harold Leckat, directeur de publication de GMT, placé en garde à vue depuis le 15 octobre à la Direction générale des recherches (DGR)
Les faits remontent au mercredi 15 octobre. De retour d’un séjour professionnel à Montpellier, où il participait à une formation organisée par la plateforme Médias & Démocratie, Harold Leckat a été interpellé à sa descente d’avion à l’aéroport international de Libreville. Selon le collectif, les agents intervenus se seraient présentés verbalement comme membres de la DGR, sans aucun signe distinctif ni mandat d’arrêt apparent. La famille du journaliste, informée par des rumeurs, aurait dans un premier temps reçu un démenti quant à sa présence dans les locaux de la DGR, avant que celle-ci n’admette finalement le détenir. Cette interpellation jugée « brutale » et « irrégulière » a suscité une vive émotion dans le milieu de la presse. Présenté deux jours plus tard au procureur de la République, Harold Leckat a vu sa garde à vue prolongée jusqu’à ce 20 octobre, officiellement pour la poursuite des investigations.

Des conditions de détention dénoncées
Au cours de la conférence, le collectif des organisations de la presse a dénoncé des conditions de détention qualifiées d’inhumaines. Le directeur de publication aurait passé plusieurs nuits menottées à une chaise, contraint de dormir assis, sans accès aux sanitaires ni à l’hygiène élémentaire. Une situation qui porte atteinte à la dignité humaine et viole l’article 16 de la Constitution gabonaise, qui interdit toute détention arbitraire pour les personnes présentant des garanties de représentation. Sur le plan judiciaire, Harold Leckat est soupçonné d’avoir perçu, à travers son agence Global Media Time, des paiements de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) sans exécution complète des prestations convenues dans le cadre d’un contrat signé en 2020. Mais pour le collectif, ces accusations relèvent d’un litige commercial et non d’une affaire pénale. Les représentants de la presse rappellent que Global Media Time est une entreprise privée liée par un contrat civil à une institution publique, et qu’en cas de désaccord, seul le tribunal du commerce serait compétent. « Il ne s’agit ni d’un fonctionnaire, ni d’un comptable public. Parler de détournement de fonds publics est un non-sens juridique », a martelé le collectif, regrettant que « la justice soit utilisée comme un instrument d’intimidation contre les voix libres ».

Un parcours qui force le respect
Le collectif a tenu à rappeler la trajectoire d’Harold Leckat, présenté comme un journaliste rigoureux et profondément attaché à la liberté d’informer. Depuis la création de Gabon Media Time en 2016, ce média s’est imposé comme un espace critique, souvent en marge du discours dominant, mais toujours fidèle à une exigence de vérité. Son engagement lors de la période précédant le changement de régime du 30 août 2023 a été souligné. Harold Leckat aurait notamment participé, avec l’économiste Mays Mouissi, à la rédaction du rapport « 105 promesses, 13 réalisations », une étude devenue emblématique du journalisme d’investigation au Gabon. Pour ses prises de position et ses publications, il aurait reçu des menaces de mort et subi de nombreuses pressions. « Il n’a jamais fui son pays, même quand sa vie était en danger. C’est un patriote, un homme debout ». Les organisations présentes ont dénoncé un acharnement répété contre Gabon Media Time depuis plusieurs années. Plusieurs plaintes ont été déposées contre le média auprès de la Haute Autorité de la Communication (HAC), notamment par la CDC et l’ancienne ministre de la Communication, Laurence Ndong. Pour les membres du collectif, cette succession d’incidents traduit « une volonté d’affaiblir les médias indépendants » à un moment où le pays traverse une phase de recomposition politique.
Un appel solennel à la justice et à la liberté
Dans un ton ferme mais digne, les représentants du collectif ont conclu leur déclaration par un appel à la libération immédiate et sans condition d’Harold Leckat. Ils ont également exhorté les autorités à garantir la protection des journalistes et à engager des réformes structurelles pour une presse véritablement libre et indépendante. « Ce qui arrive à Harold Leckat dépasse son seul cas. C’est toute une profession qui se sent concernée. Nous demandons que la justice soit rendue dans la transparence et le respect des droits fondamentaux ». Aujourd’hui, au siège de Gabon Media Time, la presse gabonaise a parlé d’une seule voix : celle de la solidarité et de la dignité face à l’arbitraire.
