La démocratie n’est pas un chœur à voix unique

La transition s’est close dans les urnes, et avec elle s’achève l’un des chapitres les plus sensibles de notre histoire politique. Les élections législatives du 27 septembre ont livré un verdict sans surprise, mais non sans malaise. La victoire fut large, parfois triomphale, mais à y regarder de plus près, cet éclat cache un déséquilibre profond : trop d’unanimité tue la pluralité. Trop de certitudes étouffent la contradiction. Et sans contradiction, la démocratie se fige, s’étiole, se nie elle-même. Le second tour du 11 octobre doit être, à ce titre, un moment de lucidité collective. Il ne s’agit plus de compter des sièges, mais de prendre conscience que la démocratie ne vit pas de l’adhésion totale, mais de la coexistence des différences. Ce rendez-vous électoral doit inviter à la responsabilité. Il impose à chacun vainqueurs comme vaincus de reconsidérer toute velléité de possession absolutiste du pouvoir. Gouverner, ce n’est pas tout conquérir. C’est savoir composer, écouter, équilibrer. C’est comprendre que le pouvoir, en démocratie, n’est jamais un patrimoine : il est une délégation fragile, réversible, conditionnée par la confiance populaire. En coulisses, le président de la République, que l’on dit lucide sur la tournure des choses, aurait mis en garde son propre camp contre toute dérive triomphaliste. Et il a raison. L’histoire politique du Gabon, comme celle de bien d’autres nations africaines, nous enseigne que la concentration des pouvoirs conduit toujours à la dérive. La victoire sans partage est une illusion de force qui prépare la fragilité de demain. Le véritable courage politique n’est pas dans la conquête, mais dans la retenue. Le dialogue national inclusif avait tracé la voie d’un État fort de ses institutions, et non d’un homme fort. Ce dialogue, fruit des douleurs de la transition, portait en lui la promesse d’une République équilibrée, fondée sur la limitation des mandats, l’exclusion de toute succession dynastique et la neutralisation des pouvoirs par le jeu des contrepoids. Ces décisions n’étaient pas symboliques : elles traduisaient la volonté d’un peuple de rompre avec l’ère des présidences héréditaires et des institutions captives. La vitalité démocratique se mesure à la capacité d’un pouvoir à tolérer la contradiction. C’est dans le choc des idées, dans les débats parfois rudes mais sincères, que se forge la légitimité des décisions. Une Assemblée monocorde, une opposition marginalisée, un exécutif sans regard critique : voilà le visage d’une démocratie en apnée. La diversité des voix, loin d’être un handicap, est la garantie de l’équilibre national. Elle évite que la majorité se perde dans l’autosatisfaction et que les citoyens s’éloignent de la politique, déçus, désabusés, désintéressés. Ce second tour du 11 octobre ne doit donc pas être un rituel formel, mais un appel à la responsabilité partagée. À l’humilité du pouvoir répond la maturité du peuple. Aux ambitions partisanes doit succéder le sens de l’État. Car les choix des gouvernants, dans les jours à venir, diront si la trajectoire ouverte par la transition sera prolongée ou trahie. Le Gabon ne peut plus se permettre une nouvelle désillusion démocratique. La transition a voulu bâtir un avenir de règles partagées ; il appartient désormais à ceux qui tiennent le pouvoir de prouver qu’ils en sont les gardiens, non les bénéficiaires. La démocratie gabonaise ne survivra pas à un nouveau chœur à voix unique. Elle respire par la pluralité, elle vit de la contradiction, et elle meurt du silence. Sachons raison garder.

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