Gabon: un voyage culinaire provincial


Au-delà des palmiers lustrés de Libreville, hors de la frénésie urbaine et des côtes animées, le Gabon profond réserve un trésor de saveurs, forgées par la forêt, les fleuves, l’océan et les traditions communautaires. Chaque province dévoile un univers culinaire unique, inscrit dans une histoire, un écosystème et un rituel alimentaire. Voici un itinéraire gastronomique pour découvrir l’âme gabonaise, de l’Estuaire isolé à l’Ogooué-Ivindo reculé, du Haut-Ogooué minier jusqu’à la Nyanga océanique.

Estuaire : les saveurs de la capitale à la campagne
Aux portes de Libreville, la province de l’Estuaire offre une cuisine aux accents urbains et maritimes qui célèbre les richesses de la mangrove et de l’océan. Bien que la capitale attire les feux des projecteurs, c’est dans les villages côtiers que l’on retrouve les traditions culinaires les plus authentiques.

Mambo – crabe farci, un plat cosmopolite et festif, le Mambo est composé de crabes de mangrove délicatement farcis d’un mélange d’épices, d’herbes locales, liés avec pâte d’odika (noix de palme noircie), puis cuits à la vapeur. Il est souvent consommé lors des grandes occasions, en famille ou entre voisins, accompagné de manioc bouilli ou de riz parfumé.

Missénénés :coquillages « couteaux de mer », ramassés dans la boue salée, les coquillages Missénénés sont préparés en sauce épicée, agrémentée de piments, ail, tomates et huile de palme. La cuisson lente permet d’attendrir leur texture ferme et d’exhaler leurs arômes marins. Un incontournable des tables festives côtières.

Moinmbo mwa kudu : bouillon de tortue, plat désormais rare et précieux, le bouillon de tortue incarne un rituel culinaire strictement encadré. Cuit dans son jus, avec des légumes, feuilles aromatiques et manioc, ce mets est réservé aux cérémonies coutumières et symbolise l’harmonie entre la communauté et la forêt-mangrove environnante.

Nyembwe au poisson:  un classique national revisité avec finesse, la nyembwe poisson allie la richesse de la pâte de graines de palmiste avec la finesse gustative du bar ou du capitaine grillé. Servi avec des bananes plantains frites ou du manioc, il incarne l’art de marier tradition et élégance culinaire.

Haut‑Ogooué : un terroir minier et forestier

La province de Haut‑Ogooué, territoire de l’épopée minière à Franceville et Moanda, abrite une cuisine authentique, fusion entre mets forestiers et traditions villageoises. C’est dans les cours sablonneuses autour des huttes que les saveurs s’expriment, humblement, mais intensément.

Nkumu andza: feuilles de Gnetum africanum, un plat végétarien de choix, où les feuilles sauvages sont pilées, mélangées à du poisson fumé ou misobo (sanglier local), puis mijotées dans une sauce longue à cuire. Ce mets, riche en fer et fibres, est dégusté avec du chikwangue ou du riz.

Nguya : sanglier sauté, viande de brousse royale, le sanglier est découpé en morceaux, mariné dans une pâte épicée faite de cacahuètes, piments et herbes, puis sauté à l’huile de palme. Son goût puissant, presque giboyeux, en fait un mets rare pour les festivités.

Tchangui: légumes amers, feuilles sauvages cueillies en forêt et préparées à la mode traditionnelle : blanchies, pilées, puis longuement mijotées avec poisson ou viande, sel, épices. Une cure culinaire, souvent servie en accompagnement.

Ondili: sauce gombo, un bouillon riche, lié avec de la gombo ou du jus de fleurs d’hibiscus, épicé et fumé. Il accompagne poissons ou viandes, et est réputé pour ses vertus digestives et antiseptiques.

Oyaba: paquet d’atanga. L’atanga est un fruit forestier local, enveloppé avec des légumes et du poisson dans des feuilles, puis cuit à la vapeur. Un mets plein de mystère, reflétant l’alliance entre forêt et cuisine savante.

Evoura tcha ndimba: chenilles au odika, une délicatesse très prisée, les chenilles sont montées en sauce odika, mélange de noix de palme noire, piment et épices. Consommées grillées ou en sauce, elles témoignent de la créativité alimentaire des villages forestiers.

Tchwi o tcha mari ma tcho: poisson à l’huile de palme. Poisson de rivière, préparé en marinade épicée et grillé lentement, avec farce pimentée et huile de palme. Une explosion de saveurs en bouche, servis avec manioc ou plantain.

Moyen‑Ogooué : la cuisine du fleuve

Au cœur du Gabon, la province de Moyen‑Ogooué vibre au rythme de l’Ogooué, fleuve-mère d’une cuisine douce et parfumée. À Lambaréné, les marchés sont une vitrine de poissons frais et de produits locaux.

Nkondo: bouillon de carpe. La carpe de l’Ogooué, épaisse et savoureuse, est mijotée avec légumes racines, épices douces, feuilles aromatiques et graines. Le bouillon, parfumé, est bu à la cuillère, accompagné du poisson en morceaux ou d’un accompagnement (manioc, bananes plantains).

Mambe: poisson dans l’odika, poisson frais, roulé dans une pâte d’odika relevée, puis cuit lentement sous une calebasse couverte, jusqu’à ce que la carapace se colore et que la chair infuse de tous les arômes de palme noire. Servi avec du chikwangue et un brin de gingembre frais râpé.

Ngounié : terre de saveurs forestières

Reposant sur des traditions rurales, la province de Ngounié est un véritable creuset culinaire, où se rencontrent taro, feuilles sauvages et viande de brousse pour composer des plats rustiques et pleins de caractère.

Mighube : feuilles de taro, les feuilles de taro pilées et cuites longuement dans un bouillon riche, parfois enrichi au poisson fumé, huile de palme et tomate sauvage. Un plat nourrissant, souvent partagée à l’occasion de cérémonies villageoises.

Koku mu teri – coq à la courge, un coq mature mijoté doucement dans une sauce aux graines de courge (éni), ail sauvage, oignons et piment. Une sauce épaisse et veloutée, accompagnée de manioc ou de plantains bouillis.

Ilotu – légumes locaux, mélange de feuilles sauvages (taro, tarwi, feuilles de manioc) cuits en bouquet avec huile de palme, petit poisson séché et oignon. Un plat de subsistance, riche en vitamines et en énergie.

Nyanga : entre terre et mer, au sud-ouest.

La province de Nyanga conjugue les ressources fluviales, forestières et maritimes. Ses villages côtiers et forestiers proposent des mets à la fois rustiques et raffinés.

Dissambu na mbologou : poisson salé à l’aubergine, les filets de poisson salé (souvent mulet ou capitaine) cuits avec aubergines, piment local, ail et huile de palme. Relevé et parfaitement équilibré, il est servi avec du manioc bouilli ou du riz local.

Ngumbe gumughe mu teri : porc-épic fumé, viande de porc-épic fumée sur bois tendre, puis mijotée dans une sauce grenade/courge, parfois agrémentée de concombre sauvage. Un goût sauvage, délicat et raffiné, réservé aux tables de fête.

Doukoudaka: requin à l’huile de palme, un sandwich landlocked entre sol forestier et océan : le requin, rôti ou mijoté dans une sauce rouge vive, est nappé d’huile de palme corsée. Se déguste à l’ombre des manguiers.

Nlenf : huîtres , coquillages récoltés dans les estuaires, servis crus ou cuits, agrémentés de citron sauvage ou sauce de gingembre. Délicates et nutritives, elles forment un en-cas convivial et iodé.

Tsara – feuilles de manioc; les feuilles pilées, cueillies à maturité, mijotées dans un bouillon épicé avec huile de palme. Se consomme avec du chikwangue ou de la banane plantain, et parfois du poisson.

 

 

 


Ogooué‑Ivindo : la province aux mille forêts

Avec ses forêts primaires, la province de l’Ogooué-Ivindo est une terre de traditions alimentaires, entre manioc, tubercules sauvages, champignons, viande de brousse et poisson d’eau douce.

Soukouté : paquet de poisson-feuilles-ara-chide, assemblage délicat de feuilles de manioc, de poisson, d’ara‑chide pilée, d’épices Elondje, enrobé dans des feuilles puis cuit à la vapeur. Une gourmandise de feuille à l’identité végétale intense.

Ekoa :manioc au bicarbonate, tubercule fermenté, lavé, puis cuit avec du bicarbonate local pour neutraliser l’acidité, servi en accompagnement riche et consistant.

Kondondo: tubercules-fumés-crevettes, riz sauvage, tubercules locaux, crevettes séchées, poisson fumé et huile de palme sont mijotés dans un même foyer, avec bouquet aromatique, offrant un plat forestier complet, visuellement et gustativement épais.

Atanga sauté : atanga sauté dans l’huile de palme avec oignons, piment et herbes aromatiques. Servi en accompagnement ou en entrée végétale, avec manioc vapeur.

 

 

 

Ogooué‑Lolo : vallée agricole et traditions rurales

La région de Koulamoutou cultive l’alliance du manioc, des légumes sauvages et de la viande de brousse dans une cuisine chaleureuse et nourrissante.

Mayagha : feuilles de manioc, un plat emblématique, feuilles de manioc pilées, mijotées très longuement, parfois avec viande de chèvre, sauce onctueuse et piment modéré. Partagée en famille, c’est un symbole de convivialité.

Nzaka :concombre sauvage ,concombre forestier roulé avec poisson fumé, piment, ail et huile de palme. Une saveur croquante et piquante, très appréciée lors des veillées.

Batséki na ico : aubergine sauvageAubergines sauvages mélangées à bananes plantains, relevées d’aromates locaux, mijotées à la sauce légère. Un plat de transition entre fruits et légumes, douces saveurs.

Kouroudou : cœur de bananiere, le cœur de bananier, un légume tendre et ferme, est découpé, sauté avec oignon, piment et huile de palme. Un mets raffiné, équilibré en texture et goût.

Bukulu : oseille, feuilles d’oseille sauvage cuites en bouillon acidulé, utilisées pour équilibrer les sauces grasses et les viandes.

Mouniaka:  légumes amers, bouquet de légumes sauvages, amers, préparés en sauce légère, bonne pour la digestion, consommés en journée pour la vigueur.

Ogooué‑Maritime : la cuisine des grands ports

Dans la province de Port‑Gentil, le fondement de la gastronomie est la mer. Fruits de mer, poissons et crustacés nourrissent un art culinaire costaud et diversifié.

Poulet Nyembwe – plat national, le classique s’illustre ici en version côtière : morceaux de poulet plongés dans une sauce onctueuse de palme, relevée d’ail, d’épices douces. Un plat central de la cuisine gabonaise, symboles de fiesta et réunions familiales.

Ngomba g’odika : porc-épic en sauce, porc‑épic cuit en sauce de palmiste (chocolat indigène), grâce à la proximité des mangroves. Un goût charnu et sauvage, rarement servi hors des villages lagunaires.

 

 

 

 

 

Ymbère : Sardines fraîches ou fumées, grillées, trempées dans une sauce pimentée ou mangée seules à la plage. Un classique de rue, snack facile à préparer.

Iloupou – folon au poisson fumé, folon (plante aquatique) préparé comme légume principal avec poisson fumé, ail, piment et huile de palme. Une salade tiède qu’on savoure à toute heure.

 

 

 

 

 

Inkoubia – coquillages, huîtres et autres coquillages, frits ou cuits à la vapeur avec gingembre ou citron sauvage, servis en perle iodée.

Kove – carangue salée, carangue fumée/salée, servie en tranche avec manioc ou plantain. Une charpente iodée, partagée en famille.

Ewèrè y ézanga – poisson-sel-choux, poisson salé mijoté avec choux, carottes, ail et huile de palme. Un plat équilibré qui se déguste au dîner.

Woleu‑Ntem : la cuisine du nord profond

Proche des frontières du Cameroun et de la Guinée équatoriale, la province de Woleu‑Ntem brasse cultures croisées, herbes sauvages et tubercules africains.

Nfouk‑owone : poule arachide, poule cuite dans une sauce épaisse à base d’arachide, piment doux, oignon, accompagnée de riz, manioc ou igname. Une variante gabonaise du ragoût d’arachide.

Mezack e nkou : manioc aux crevettes, feuilles de manioc pilées, mijotées avec crevettes, palmiste, oignons, sel et piment. Un plat dense en texture, riche et nutritif.

Nkono owono : paquet arachide, demi-feuilles roulées autour d’un mélange de pâte d’arachide, piment et herbes, servis à la vapeur. Un snack sophistiqué.

 

 

 

 

 

Nnam ngwane – courge locale découpée, mijotée avec oignon, piment, crevettes séchées, puis nappée d’huile de palme. Une douceur rurale.

Safone medza’a – morelle noire, feuilles de morelle noire (juteuse et acidulée), bouillies avec une sauce de palmiste et maïs, pour équilibrer les fortes sauces.

Ce long périple montre que la gastronomie gabonaise n’est pas emprisonnée dans un seul plat, mais s’organise comme un écosystème de traditions culinaires locales. Malgré un patrimoine national partagé (nyembwe, manioc, plantain), chaque province décline des variantes, intègre des produits rares (chenilles, porc-épic, atanga), adapte des techniques (fumage, cocottes, feuilles, tubercules) en fonction du territoire.

Les  marges forestières aux frontières fluviales, se révèle comme une terre de saveurs intenses, à la croisée des traditions, des paysages et des cultures. Les plats qu’on découvre ne se dégustent pas seulement : ils racontent une histoire, un mode de vie, un lien ancestral entre l’homme et son environnement.

Valoriser cette richesse culinaire, c’est renforcer une identité nationale issue d’un patchwork culturel, c’est aussi revendiquer une souveraineté alimentaire et culturelle. En soutenant les cuisines des provinces – par de nouvelles routes, des centres de formation, des festivals, de la recherche, des partenariats – le Gabon pourrait faire de ses traditions alimentaires un atout touristique, économique et culturel durable. Le voyage culinaire dans les neuf provinces s’achève, mais l’invitation à découvrir le Gabon profond est ouverte. Que chaque plat, héritage et geste ancestral, continue d’inspirer ceux qui cherchent à saisir l’âme gabonaise, non seulement par l’œil ou l’oreille, mais aussi par le palais.

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