Dans une atmosphère à la fois solennelle et émotive, Jean-François Ntoutoume Émane, ancien Premier ministre du Gabon et figure tutélaire de la scène politique nationale, a prononcé un discours d’une rare intensité humaine et politique au siège du Rassemblement des Patriotes Républicains (RPR), dans le quartier Lalala à Libreville.
Ce discours, très attendu, a marqué l’annonce officielle de son retrait définitif de la vie politique active, mais aussi la dissolution imminente du parti qu’il a fondé en 2018, le RPR.

Une décision mûrie, motivée par la lucidité politique
C’est sans notes, sans effet de manche, et avec un ton empreint de sincérité que Ntoutoume Émane a tenu à s’adresser « à cœur ouvert » aux militants, aux citoyens du cinquième arrondissement, aux journalistes, et aux nombreux sympathisants venus écouter un homme qu’ils considèrent encore comme une boussole morale. S’il s’est montré direct dans son propos, il n’a pour autant jamais cédé à la facilité : son message était celui d’un homme d’État conscient du poids de l’histoire et du besoin d’évolution dans l’engagement politique.
« La politique est un organisme vivant », a-t-il rappelé, soulignant la nécessité pour les partis et les hommes qui les incarnent d’évoluer avec leur temps. Pour lui, le coup d’État du 30 août 2023, surnommé « coup de la libération », a marqué un tournant irréversible dans la vie politique gabonaise, rendant caduques les anciennes lignes de fracture. Le RPR, dont la vocation était de s’opposer au régime autoritaire d’Ali Bongo Ondimba, a vu sa raison d’être s’estomper dans ce nouveau contexte où « l’ennemi de la République n’est plus là ».
Une longue route politique au service de la République
En retraçant son parcours, Jean-François Ntoutoume Émane a pris le temps d’expliquer les grandes étapes de sa vie politique, depuis son retour d’études jusqu’à son accession aux plus hautes fonctions de l’État. Il est revenu sur son entrée au journal Dialogue en tant que directeur général, grâce au soutien du Dr Chambrier père, puis son intégration directe au bureau politique du Parti Démocratique Gabonais (PDG), sans même passer par une fiche d’adhésion. Pendant plus de 30 ans, il a été l’un des proches collaborateurs d’Omar Bongo Ondimba, exerçant tour à tour les fonctions de ministre d’État, Premier ministre, conseiller spécial, et représentant du Gabon dans plusieurs missions délicates à l’étranger, notamment en Angola durant la guerre civile. Ce parcours, qu’il décrit sans ostentation, a été marqué par une loyauté indéfectible au service de l’État gabonais, mais aussi par une rupture nette avec le PDG version Ali Bongo, qu’il accuse d’avoir dévoyé l’héritage politique de son prédécesseur.
RPR : un projet, une lutte, un héritage

Fondé officiellement le 20 janvier 2018, le Rassemblement des Patriotes Républicains se voulait un parti d’opposition « républicaine et responsable ». Il a activement participé aux élections législatives de 2023, malgré un contexte politique verrouillé. Le parti avait présenté des candidats dans plusieurs provinces : Estuaire, Ogooué-Maritime, Moyen-Ogooué, Ogooué-Ivindo et Nyanga. Selon son président, le RPR aurait pu obtenir « au moins 3 députés et une vingtaine de conseillers locaux », si les résultats n’avaient pas été annulés suite à la transition. Avec le renversement du régime Bongo, le combat du RPR perdait sa cible historique. Ntoutoume Émane a reconnu avec lucidité que le parti n’a plus de raison d’exister dans la configuration actuelle, et qu’il est temps de faire place à d’autres forces, plus adaptées aux défis de la Cinquième République.
Un hommage appuyé au président Oligui Nguema
L’homme d’État n’a pas caché son admiration pour Brice Clotaire Oligui Nguema, actuel président de la République. Il a salué son action dans les domaines des infrastructures routières, scolaires, sanitaires, et surtout sa volonté de sortir le Gabon de la dette abyssale laissée par le régime précédent. Il a qualifié son action de « patriotique » et a encouragé ses militants à le rejoindre activement, ou à soutenir le parti d’Alexandre Barro Chambrier, « son fils politique » qu’il respecte profondément. Il a insisté :« Ce que le président Oligui fait en deux ans, aucun autre pouvoir ne l’a fait en dix. Il faut être juste et honnête. »
Une retraite politique, mais une présence d’influence : Un dernier mot à ses enfants et petits-enfants
À 77 ans, Ntoutoume Émane a indiqué qu’il allait désormais se consacrer à la rédaction de ses mémoires, à des conseils aux jeunes générations et à l’écriture d’ouvrages pour transmettre son expérience et sa vision de la gouvernance. Loin de se retirer du débat public, il entend continuer à témoigner, par la parole comme par l’écrit, pour nourrir la mémoire politique du Gabon. « Je suis à l’âge des conseils, à l’âge des témoignages, je ne suis plus dans la politique des palabres », a-t-il conclu sous les applaudissements.
Dans une touche personnelle et touchante, il a évoqué ses enfants, ses nombreux petits-enfants, et ceux qui s’engagent dans la politique active. « Je ne leur impose rien. Je leur donne des conseils, c’est tout. C’est maintenant leur tour d’écrire leur page. » Avec cette déclaration forte et digne, Jean-François Ntoutoume Émane tourne une page de l’histoire politique gabonaise. Mais il ne la referme pas : il la transmet.
