Peut-on gouverner sans parti ?

Que vaut une légitimité électorale sans colonne partisane pour la porter ? Et inversement, qu’est-ce qu’un appareil partisan sans incarnation populaire ? Le suffrage donne le pouvoir, mais suffit-il à l’asseoir ? Tel pourrait être le paradoxe fondateur d’une démocratie en recomposition. Car si la légitimité électorale relève de la sanction populaire, l’ancrage partisan en est le prolongement institutionnel, le socle organique parfois même la condition de sa pérennité.

De la ferveur à la fragilité

Brice Clotaire Oligui Nguema a accédé au pouvoir avec un score plébiscitaire, sans contestation majeure une première depuis plusieurs décennies au Gabon. Ce fait, en soi, assoit une forte légitimité d’origine. Mais une légitimité née des urnes, aussi éclatante soit-elle, reste vulnérable sans une structuration politique durable pour en assurer la continuité, la traduction et la consolidation. Sans appareil militant, sans relais locaux, sans base idéologique partagée, la légitimité peut s’effriter. Elle devient alors dépendante des circonstances, exposée à l’usure du pouvoir ou à l’érosion de la ferveur initiale.

Créer un parti : consolider ou compromettre ?

La création de l’Union Démocratique des Bâtisseurs (UDB) traduit cette tension. Pour ses promoteurs, le parti doit servir de prolongement d’un projet, non d’un homme. Mais comment éviter que l’UDB ne soit perçue comme le simple bras politique d’un pouvoir installé, au risque d’enfermer l’élan populaire dans une mécanique électorale classique ? Le défi est double : éviter le piège du parti unique sous une autre forme tout en fournissant au président un cadre structurant pour gouverner et réformer. C’est une équation redoutable que connaissent bien d’autres régimes africains post-transition, où la popularité initiale se heurte à la nécessité de bâtir un camp politique stable, sans trahir l’esprit de départ.

Parti d’État ou mouvement populaire ?

C’est ici que l’articulation devient subtile. Une légitimité fondée sur l’élection peut-elle s’enraciner sans reproduire les travers du passé ? L’UDB entend ne pas être un parti de rente, ni un outil de clientélisme. Mais il lui faut pour cela une doctrine mobilisatrice, des pratiques inclusives et des lignes rouges éthiques qui la distinguent des formations anciennes. Autrement dit : elle devra incarner plus qu’un instrument de gestion électorale, elle devra se muer en espace de pensée, de projet, et de représentation populaire. Faute de quoi, même une légitimité robuste peut se diluer.

La verticalité suffit-elle ?

La légitimité électorale donne la hauteur, l’ancrage partisan donne la largeur. L’une sans l’autre produit soit une élite esseulée, soit une machine sans boussole. Le véritable enjeu, pour Oligui Nguema comme pour toute nouvelle majorité, est de réussir cette greffe organique entre la confiance des urnes et la solidité d’une base politique autonome, vivante, plurielle. Là réside sans doute le vrai tournant de la Transition : non pas seulement gouverner, mais fonder un nouvel écosystème politique où la puissance du mandat se conjugue avec la vitalité du lien partisan.

 SJL

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