Réurbaniser, à quel prix ? De Paris à Libreville, les villes refaites et les vies déplacées

Derrière les façades propres des capitales renouvelées, combien d’existences déracinées ? Des percées haussmanniennes au Gabon contemporain, nous interrogeons l’héritage et la brutalité silencieuse des modernisations urbaines.

Propos de SJL

En 1853, Napoléon III confiait au baron Haussmann la transformation de Paris. À coups de pioches et d’expropriations, des boulevards furent ouverts, des quartiers rasés, une capitale métamorphosée. Les objectifs étaient clairs : assainir la ville, la sécuriser, affirmer le prestige impérial. Mais cette modernisation eut un coût social immense : les classes populaires parisiennes furent déguerpies massivement, repoussées hors des murs, loin des lumières. Un siècle et demi plus tard, cette dynamique traverse encore le monde. De Libreville à Lagos, de Brasília à Harare, le scénario se répète : bâtir pour demain, sans toujours consulter ceux qui vivent aujourd’hui.

Libreville : le nécessaire dialogue  pour sa modernisation

Depuis le premier semestre 2025, le Gabon assiste à un vaste mouvement de « libération foncière » dans des zones urbaines stratégiques comme Plaine-Orety, Bas de Gué Gué, Derrière l’Hôpital ou encore Owendo. Est invoquée la nécessité de construire une Cité administrative, un boulevard diplomatique, ou d’endiguer les risques d’inondation. Officiellement : “projets structurants”. Officieusement, de nombreux sinistrés dénoncent un manque de clarté sur les indemnisations, l’absence de relogement immédiat, et le choc brutal de démolitions sans transition.
Le Président Brice Clotaire Oligui Nguema est même descendu sur le terrain pour calmer les esprits. Un geste symbolique, mais révélateur : lorsqu’un chef d’État devient pompier d’une politique locale, c’est que l’urbanisme ne sait plus parler aux citoyens.

Ailleurs aussi : Lagos, Harare, Abidjan, Nairobi…

Le Gabon n’est pas un cas isolé. Partout, les capitales africaines connaissent des politiques urbaines musclées, parfois au nom de la modernité, parfois pour chasser « l’informel » :

  • Lagos, mégalopole nigériane, a rasé une partie du quartier lacustre de Makoko, sans relogement, avec usage de la force. Résultat : des litiges, des familles délogées, des émeutes.
  • Harare, capitale du Zimbabwe, a mené en 2005 l’opération Murambatsvina (“chasser les ordures”), évacuant près de 700 000 personnes. L’ONU avait alors dénoncé une crise humanitaire.
  • Nairobi, avec ses plans de rénovation de Kibera, a tenté une approche participative, mais les relogements n’ont pas toujours suivi, et certains habitants ont réoccupé les espaces détruits.
  • Abidjan, dans des quartiers comme Adjamé ou Gonzagueville, a connu des vagues de destruction sous le prisme sécuritaire ou environnemental, sans toujours offrir de solutions pérennes.

Brasília, une modernité exclusive

Brasília, capitale du Brésil inaugurée en 1960, est un chef-d’œuvre architectural : géométrique, monumentale, planifiée. Pourtant, ceux qui l’ont construite  ouvriers, migrants ont été relégués à des dizaines de kilomètres, dans des villes satellites souvent dépourvues d’infrastructures. L’utopie moderniste a accouché d’une séparation sociale bétonnée. Ce paradoxe est au cœur des débats actuels sur la ville : peut-on construire le futur tout en expulsant ceux qui vivent le présent ?

Quel urbanisme pour quelle société ?

Ce que révèle cette comparaison, c’est que la forme urbaine traduit toujours une forme politique. Lorsqu’un gouvernement déploie des bulldozers avant d’écouter les habitants, il dévoile une conception verticale du pouvoir : décider d’en haut, gérer d’en bas.
La réurbanisation ne devrait-elle pas rimer avec cohabitation, pas avec expulsion. Car derrière chaque “occupation irrégulière” se cache souvent une histoire de survie, d’exode rural, de chômage, de stratégie familiale. En niant ces réalités, les États creusent un fossé entre l’ambition de l’aménagement et la dignité des citoyens.

Et maintenant, Libreville ?

Il ne s’agit pas d’interdire les politiques de réurbanisation. Il s’agit de les humaniser. Libreville, comme d’autres, peut faire le choix d’un urbanisme dialogué, anticipé, équitable. Des forums communautaires avant tout projet, des diagnostics participatifs, et donner  mission de concertation urbaine à une haute autorité indépendante comme la Médiature de la République pourraient être utiles pour un urbanisme républicain, réformateur et respectueux.

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