Électricité et eau : la SEEG face à la tempête, Steeve Saurel Legnongo promet des solutions durables

Depuis plusieurs semaines, Libreville et ses environs vivent des délestages. Les coupures d’électricité se succèdent, plongeant des quartiers entiers dans l’obscurité. Entre bougies et générateurs, les habitants oscillent entre résignation et colère. Les commerçants perdent leurs marchandises, les artisans leur production, et les ménages voient leurs appareils endommagés. Dans cette atmosphère saturée de frustration, le silence de la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG) devenait intenable. Le 27 octobre 2025, l’Administrateur Directeur Général, Steeve Saurel Legnongo, a enfin pris la parole dans un entretien accordé au quotidien L’Union.

Un échange rare, dense, et d’une franchise inhabituelle dans un paysage institutionnel souvent marqué par la langue de bois. Le patron de la SEEG y expose, sans détour, les causes d’un désordre énergétique qui paralyse le Grand Libreville. Entre crise hydrologique, lente montée en puissance d’une centrale flottante turque et fragilité chronique du réseau, il tente de rétablir les faits. Mais une évidence s’impose : le système est à bout de souffle.

« Permettez-moi avant toute chose de présenter à nouveau, au nom de la SEEG, nos excuses les plus sincères aux populations durement affectées par ces coupures », déclare-t-il d’entrée de jeu. L’ingénieur, nommé pour restaurer la crédibilité d’une entreprise fragilisée, ne cherche pas à minimiser les difficultés : « Les difficultés actuelles sont liées principalement au retard observé dans la mise en service d’une nouvelle centrale thermique flottante de 150 mégawatts (MW). » Cette infrastructure, censée redonner de l’air au réseau électrique du Grand Libreville, n’a pas encore atteint sa pleine capacité. Sa montée en charge progressive retarde la production attendue. À cela s’ajoute un étiage exceptionnellement bas dans la vallée de la Mbè : le barrage de Tchimbélé, mesuré à 515,98 mètres, est bien en dessous du seuil critique de 517 mètres, loin du niveau optimal de 531 mètres. Avec Kinguélé, Tchimbélé assure près de 40 % de la consommation électrique de Libreville. Leur affaiblissement fragilise tout le réseau. Steeve Saurel Legnongo évoque également la vétusté du matériel et la fraude endémique qui pèsent lourdement sur le système. « Malgré ces difficultés, la SEEG reste pleinement engagée à surmonter cette situation pénible pour les populations », assure-t-il.

Une entreprise sous pression mais mobilisée

Conscient de la colère populaire, le dirigeant met en avant la mobilisation des équipes techniques. Ingénieurs, techniciens et opérateurs travaillent jour et nuit pour stabiliser la distribution. Les efforts se concentrent sur deux priorités : la finalisation de la centrale flottante de 150 MW et le renforcement du réseau de transport, notamment la ligne haute tension 90 kV Owendo–Bisségué, stratégique pour la capitale. L’ADG reste toutefois prudent : « Il est difficile de donner une date précise pour un retour complet à la normale au regard de la nature des travaux à réaliser. Mais, une fois de plus, des améliorations progressives sont attendues à court terme. » En clair, la situation ne sera pas résolue du jour au lendemain. L’entreprise dit avoir engagé une stratégie de stabilisation pour renforcer la résilience du réseau et améliorer, pas à pas, la qualité du service rendu aux usagers.

Au-delà de la gestion d’urgence, le patron de la SEEG plaide pour une refonte du système énergétique gabonais. Sur 704 MW de capacité installée, 54 % proviennent du thermique (gazole et gaz) contre 46 % de l’hydroélectricité. Une dépendance excessive aux combustibles fossiles, « coûteux et polluants », que le gouvernement entend inverser. L’objectif est clair : atteindre 80 % d’hydroélectricité contre 20 % de thermique. Pour cela, plusieurs projets structurants sont en cours : Kinguélé-Aval, Impératrice, Ngoulmendjim, FE2, sans oublier l’interconnexion avec la Guinée équatoriale dans le cadre du Pool énergétique de l’Afrique centrale (PEAC). Cette coopération régionale doit sécuriser l’approvisionnement et réduire le recours aux générateurs à gasoil, notamment dans le Woleu-Ntem. Selon Steeve Saurel Legnongo, il s’agit d’un « défi colossal » nécessitant près de 500 milliards de FCFA d’investissements pour rattraper deux décennies de retard et de sous-financement.

L’eau, autre front de la crise

L’énergie n’est pas le seul défi. Le Grand Libreville affronte également une crise hydrique marquée par des pénuries répétées. Le patron de la SEEG en identifie les causes : la baisse prolongée du niveau des rivières, notamment la Nzémé, la croissance démographique rapide et l’urbanisation désordonnée. Les infrastructures vieillissantes peinent à suivre. Fuites, pertes en ligne et branchements frauduleux aggravent le déficit. Pour y remédier, la SEEG a lancé un plan d’action axé sur la résilience et l’anticipation : renforcement de la veille hydrologique, optimisation des systèmes de pompage et de traitement, reconfiguration des circuits de distribution et développement de capacités de stockage. Symbole de cette relance, le partenariat signé le 7 avril 2025 avec la société française SUEZ vise à moderniser la production et la distribution d’eau sur tout le territoire, dans le cadre de la politique présidentielle de réhabilitation des services publics essentiels.

Pour combler le déficit estimé à 70 000 m³/jour dans le Grand Libreville, la SEEG mise sur le projet Mbomo, lancé en 2022. Les études sont achevées à 60 % et les travaux à 50 %. La première phase, prévue pour le second trimestre 2026, ajoutera 35 000 m³/jour à la production actuelle ; la seconde portera la capacité totale à 70 000 m³/jour. Les infrastructures en cours comprennent une station de pompage, une unité de traitement et 15 km de conduites entre Akok et Ntoum. « Ce projet constitue un jalon stratégique dans l’amélioration de l’accès à l’eau potable dans le Grand Libreville », résume M. Legnongo.

Une gouvernance à reconstruire

Le dirigeant ne cache pas les failles internes. À la tête d’une entreprise minée par dix directeurs généraux en sept ans, il dénonce une gouvernance instable et des choix stratégiques incohérents. « Les conclusions du diagnostic que j’ai conduit sont sans appel : la SEEG traverse une crise multidimensionnelle, marquée par des dysfonctionnements structurels et une dégradation préoccupante de la qualité de service », admet-il.

L’entreprise, lourdement endettée, souffre d’un affaiblissement de ses capacités techniques et opérationnelles. D’où la priorité donnée à la modernisation du réseau et à la formation du personnel. Autre mal endémique : la fraude. Elle touche tous les segments, du simple particulier aux grandes entreprises. Selon les estimations internes, entre 30 et 40 milliards de FCFA s’évaporent chaque année en recettes non perçues. Dans le Grand Libreville, la fraude électrique représenterait plus de 2 milliards de FCFA par mois. Près d’un tiers du parc de compteurs serait concerné. Ces branchements illégaux provoquent surcharges, baisses de tension et interruptions en chaîne. En 2024, sur 780 branchements contrôlés, 209 cas frauduleux ont été détectés en trois jours. La SEEG a renforcé ses équipes de contrôle, multiplié les opérations de régularisation et lancé une vaste campagne de sensibilisation. Mais, prévient M. Legnongo, « la lutte contre la fraude ne peut réussir sans une mobilisation collective ». Il appelle à une synergie entre pouvoirs publics, collectivités et citoyens.

Pour Steeve Saurel Legnongo, la transformation de la SEEG repose sur trois axes : Améliorer la gouvernance et instaurer une culture de responsabilité ; Renforcer la performance opérationnelle, par la maintenance, la formation et la modernisation du réseau ; Intégrer l’innovation technologique, notamment à travers le numérique et les compteurs intelligents. « Le numérique représente un levier central de notre transformation », affirme-t-il, tout en rappelant que « l’usager doit rester au cœur de nos priorités ». Éprouvée par des décennies de sous-investissement, la SEEG tente de se réinventer alors que la consommation nationale a déjà franchi le cap des 1 000 MW aux heures de pointe. Les projections de la Banque mondiale évoquent une demande de 4 à 10 GW d’ici 2040, selon les ambitions industrielles du pays. Le défi est immense : assurer l’accès universel à une énergie fiable tout en soutenant la diversification économique. « La transformation durable de la SEEG repose sur un engagement collectif, une volonté politique forte et la mobilisation de tous les leviers humains, techniques et financiers », conclut son administrateur général. La SEEG reconnaît la gravité de la crise, mais revendique une dynamique de redressement. Entre retards techniques, infrastructures vieillissantes et pressions démographiques, l’entreprise tente de reconstruire, pas à pas, un service public plus fiable et équitable.

Dernières infos

La rédaction vous recommande

Partagez cet article

Interagissez avec nous

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut