L’arrestation, le 15 octobre 2025, à sa descente d’avion à l’aéroport de Libreville, de Harold Leckat, directeur de publication de Gabon Media Time, ne saurait être un simple fait divers judiciaire. Elle interroge le rapport entre pouvoir et contre-pouvoir, justice et liberté, dans un pays qui ambitionne refonder son État de droit. Accusé d’« escroquerie et de violation des procédures de passation de marchés publics » dans le cadre d’un contrat entre GMT et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) passé en 2020, Harold Leckat est désormais au cœur d’une affaire qui met à nu les fragilités institutionnelles du système gabonais. En effet, le 15 octobre, à sa descente d’avion, Harold Leckat a été interpellé et, après une garde à vue de 48h prorogée de 72heures pour compléments d’enquête, il a été placé sous mandat de dépôt le lundi 20 octobre dernier. Le ministère public, par la voix de Bruno Obiang Mvè, procureur de la République près le tribunal de première instance de Libreville, a précisé que les poursuites ne relevaient pas d’un « délit de presse » mais d’infractions de droit commun : « escroquerie et violation des procédures de passation de marchés publics », plainte initiée par la CDC (?).
Sur le front médiatique, la HAC, régulateur autorité des médias, a publié un communiqué le 22 octobre 2025 soulignant qu’elle « suit avec attention » les développements depuis le 15 octobre et regrettant n’avoir pas reçu « d’informations officielles sur les faits qui lui sont reprochés ». Elle exige que « aucune confusion procédurale ne vienne entacher le dossier » et rappelle son rôle de « promoteur et protecteur de la liberté de la presse ». Ce dossier juxtapose donc deux impératifs légitimes mais parfois en tension : d’un côté, la nécessité pour l’État d’appliquer la loi, notamment en matière de marchés publics et de l’autre, l’impérieuse obligation de protéger l’espace démocratique où l’information circule librement. L’arrestation d’un journaliste à l’arrivée d’un avion, sans procédure transparente à la vue immédiate du public, ravive des inquiétudes : l’impression que la justice peut devenir théâtre, que le mea culpa de la transparence est absent. Dans un pays en phase de « transition politique », prétendument refondé sur l’État de droit, la manière dont est géré ce dossier envoie un signal puissant : soit l’on avance vers un système judiciaire impartial, soit l’on reste dans le dispositif ancien où les voix critiques sont fragilisées. Même si le contrat litigieux avec la CDC mérite une enquête sérieuse, il n’en reste pas moins que l’absence d’appel d’offres évoquée dans la presse n’est pas un cas isolé au Gabon et que l’on aurait souhaité une action plus globale plutôt qu’un traitement ciblé d’un journaliste. La HAC, dans son rôle, a raison de rappeler que « la régulation ne doit jamais se transformer en sanction politique ». Mais elle rappelle aussi que les médias ont des devoirs : « responsabilité, objectivité et professionnalisme ». Le paradoxe est visible : la liberté de la presse ne se défend pas uniquement contre la censure, mais aussi contre l’irresponsabilité ; et la justice ne se légitime pas seulement par l’arrestation spectaculaire, mais par la transparence, l’équité et le respect des droits fondamentaux. À ce titre, la question n’est pas uniquement de savoir si Harold Leckat est coupable ou non, c’est aussi de savoir comment les autorités traitent son cas. Une procédure opaque, un contexte de suspicion, une presse mobilisée qui parle d’« acharnement judiciaire ». Si la justice est la même pour tous, alors la langue de la confiance doit s’imposer. Si non, la nation risque de revenir vers les logiques d’arbitraire qu’elle disait vouloir dépasser. En définitive, l’affaire Harold Leckat est un test pour le Gabon : un test de la crédibilité publique de la justice, un test de la maturité des médias et un test de la sincérité du pouvoir à garantir la liberté d’expression. Le signal envoyé ici compte autant que le résultat.