En voulant obtenir, coûte que coûte, la majorité absolue à l’Assemblée nationale, au motif que le président de la République (PR) doit avoir les coudées franches face aux autres partis politiques, l’Union démocratique des bâtisseurs (UDB), a plutôt mis le chef de l’Etat dans une situation qui a les allures d’un piège. Si la démarche relève du bon sens, elle est, tout de même, d’un classicisme infantilisant : on demande toujours aux citoyens de donner à tout nouveau président la majorité nécessaire pour qu’il mette à exécution le projet de société qui lui a valu leurs suffrages. Revers de la médaille, le PR n’a plus d’excuse quand, pour le moins, les résultats tardent à venir ou quand, au pire des cas, ils ne sont pas au rendez-vous. Peu importe la conjoncture. En ce qui concerne Brice Clotaire Oligui Nguema, le jugement de ses compatriotes sera d’autant plus sévère qu’il est par ailleurs le chef du gouvernement, donc gestionnaire au quotidien de l’administration. Disposant de tous les leviers institutionnels, le général-président est également le président du Conseil supérieur de la magistrature et le chef suprême des forces de défense et de sécurité. Sans fusible, il doit répondre seul de l’état du pays. Les partisans de la thèse de la majorité absolue commettent une erreur classique, celle de croire qu’il n’y a que le projet de société qui emporte l’adhésion des électeurs. Il y a aussi le contact avec les gens, l’image qu’on renvoie, l’équation personnelle, qui donne pousse les citoyens à croire à la sincérité du candidat. A sa prise de pouvoir, le 4 septembre 2023, le général Oligui Nguema a retenu l’attention par son humilité, sa volonté de travailler avec toutes les bonnes volontés et son désir de réconcilier les Gabonais, divisés par l’écart abyssal entre l’opulence de la classe dirigeante et la paupérisation du petit peuple. Sans oublier la classe intermédiaire des profito-situationnistes. Ainsi s’explique une sorte de levée de boucliers quand la rumeur a commencé à circuler sur l’intention du PR de créer un parti politique. Publiquement ou en privé, des voix lui ont conseillé de ne pas descendre au statut de chef de clan, mais de rester sur le piédestal de chef au-dessus de la mêlée, conformément au plébiscite lors de la présidentielle.
La création de l’UDB, le 5 juillet, soit deux mois seulement après la prestation de serment du PR, est intervenue à l’issue de contorsions juridiques, la loi interdisant à un élu indépendant d’adhérer à un parti politique. Saisie, la Cour constitutionnelle avait tranché : il peut créer un parti, mais sans y adhérer. Ce qui donne cette curiosité : un président de parti qui n’en est pas membre. Le pire, c’est que nombre de candidats de l’UDB ont usé de méthodes de voyous lors des élections du 27 septembre dernier. Evidemment, tout cela déteint sur le PR, à qui ils ont voulu apporter la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Par la même occasion, ils ont fait la démonstration de l’incapacité du gouvernement du PR à organiser des élections transparentes, contrairement aux promesses à sa prise de pouvoir, deux ans plus tôt. Toujours est-il que le PR peut rebondir, s’il choisit de garder le cap de l’inclusion. Seulement, il lui faudra chercher les meilleurs profils pour l’accompagner dans la réalisation de son projet de société. Des gens compétents, qui ont l’amour du pays, les patriotes, qui ont le sens de l’abnégation, qui savent se contenter de ce à quoi ils ont droit, qui ne sombrent pas dans la concussion et la corruption, des gens intègres, on en trouve en dehors de la galaxie présidentielle. Il y en a hors des partis politiques. On en trouve dans tous les secteurs d’activités. Il en existe dans tous les aspects de la vie de la nation. Certes, le PR ne doit pas être l’otage des partis politiques, mais il ne doit pas non plus être l’otage du sien, l’UDB. Ni de son camp, ni de ses provinces d’origine, le Woleu-Ntem, côté paternel, et le Haut-Ogooué, côté maternel. Les gens compétents, intègres et acquis au patriotisme, on en trouve dans toutes les provinces et dans toutes les ethnies. Si le PR choisit de viser le piédestal sur lequel les Gabonais l’avaient hissé le 12 avril 2025, il peut, en conséquence, tirer le pays par le haut, marquer son passage et les esprits. C’est une erreur que de croire que dans sept ans, au moment de son bilan, les Gabonais vont se contenter des tours administratives, de la cité de la Démocratie new-look, des boulevards de la Libération, des monuments et autres édifices publics. Brice Clotaire Oligui Nguema est également, et peut-être surtout, attendu sur les terrains de la gestion équitable des hommes et du changement des mentalités. Il lui sera demandé l’âme qu’il aura laissée. Avant lui, Omar Bongo a été un bâtisseur : aéroports, routes, hôpitaux, écoles, universités, etc. Mais il a échoué dans l’édification d’un Gabonais en phase avec la marche du monde. Au-delà des slogans, l’unité nationale est invisible. Les membres du gouvernement se sentent d’abord de leur province et parfois de leur village, avant d’être Gabonais. Outre le népotisme, la course à l’enrichissement illicite, la propension de l’élite à tricher, à s’affranchir de la loi, des principes et de la morale, l’absence de valeurs, tant de maux qui constituent l’héritage que nous a légué le deuxième président du Gabon. Le premier président de la Ve République ne pourra pas dire qu’il ne savait pas ce qu’il ne fallait pas faire.