À Libreville, les opérations de déguerpissement menées dans les quartiers de Plaine-Orety et derrière l’Ambassade de Chine suscitent une vive controverse. Si l’État invoque un impératif de développement urbain, les habitants dénoncent un manque de transparence, l’absence d’indemnisation et une gestion foncière défaillante.
Un projet d’État au nom de la transformation
L’opération, pilotée par le ministère des Travaux Publics et la mairie de Libreville, s’inscrit dans un vaste programme de modernisation urbaine. Deux projets structurants sont concernés : la construction d’une cité administrative et l’aménagement du boulevard de la Transition. Ces travaux visent, selon les autorités, à réduire les inondations récurrentes, à décongestionner la capitale et à diminuer les charges locatives de l’administration.
Le ministre Edgar Moukoumbi a rappelé, lors d’un plateau télévisé sur Gabon 24, que ces projets ne sont pas nouveaux. Selon lui, l’identification des populations sur ces emprises date de 2015, et des indemnisations auraient été versées à l’époque. Il accuse même certains anciens bénéficiaires d’être revenus s’installer sur les terrains dégagés, aggravant la complexité du dossier. De son côté, le délégué spécial de Libreville, Adrien Nguéma MBA, affirme que des indemnisations remontent à bien plus loin, dès les années 1990, et que certaines personnes auraient profité du système à plusieurs reprises. Il dénonce une “mauvaise foi” et une “gabonite scléreuse”, selon ses mots, marquée par une tendance à contourner les responsabilités.
Des populations en colère : « Nous n’avons jamais été indemnisés » et un État sans plan face aux citoyens sans recours
Mais sur le terrain, les témoignages contredisent la version officielle. Le chef de quartier de Plaine-Orety réfute les affirmations du gouvernement. Il assure que si certaines zones ont effectivement été indemnisées pour la construction du canal et de la route, le cœur du quartier n’a jamais fait l’objet de compensations. D’autres habitants s’indignent de voir leur situation ignorée. Un résident malade, habitant derrière l’Ambassade de Chine, affirme qu’il n’a jamais reçu le moindre franc CFA en compensation. « Je suis dialysé. Où vais-je aller ? Qu’on vienne vérifier. Je n’ai jamais été indemnisé. »
Face à ces témoignages, le ministre Moukoumbi a admis que certaines personnes pourraient ne pas avoir été prises en compte lors du recensement de 2015, estimées à une vingtaine. Il a promis des vérifications par ses services, en lien avec l’ANUTTC et le ministère de l’Urbanisme, mais sans garantie de régularisation.
Au-delà de la polémique immédiate, la crise met en lumière les limites structurelles de l’aménagement urbain au Gabon. Selon Joachim Obiang Mba , conseiller technique du ministère et ancien directeur de l’urbanisme, le pays ne dispose toujours pas de schéma directeur d’urbanisme opposable aux tiers, document indispensable pour organiser l’espace urbain et sécuriser les projets.
« L’administration a failli, en ne précédant pas les populations dans l’organisation du territoire », a-t-il reconnu. Sans plan d’occupation des sols, il est difficile de prévenir les occupations anarchiques, encore moins d’agir en justice pour les démolitions dans des délais raisonnables. Le cas de Libreville illustre ainsi une situation paradoxale : l’État agit au nom de l’intérêt général, mais sans les outils juridiques et réglementaires permettant d’assurer une urbanisation encadrée et équitable.
Malgré la controverse, le gouvernement justifie les déguerpissements par des objectifs clairs :
- Réduire les risques d’inondation : le dégagement des emprises permettra l’élargissement des canalisations des bassins versants.
- Baisser les coûts de fonctionnement de l’État : la future cité administrative regroupera une quinzaine de services publics, réduisant les loyers payés à des propriétaires privés.
- Fluidifier le trafic : le boulevard de la Transition offrira une alternative aux axes saturés que sont le boulevard du bord de mer et le boulevard Triomphal.
Ces chantiers, d’envergure nationale, sont perçus comme nécessaires pour accompagner la croissance démographique de la capitale. Toutefois, leur acceptabilité sociale est fortement remise en cause.
Le gouvernement s’est engagé à refonder l’État et à bâtir un cadre de gouvernance plus rigoureux. Mais la gestion de ce dossier soulève des questions profondes sur le respect des droits des citoyens, la transparence administrative et la justice sociale. Les populations concernées, souvent vulnérables, estiment être les grandes oubliées du projet. Sans documents juridiques fiables, sans accompagnement social ni communication anticipée, elles vivent les déguerpissements comme des expulsions brutales.