Le cumul des pouvoirs ou la tentation du désordre

La déclaration du ministre de la Réforme des institutions, François Ndong Obiang, lue le 3 novembre 2025, a résonné comme un rappel à l’ordre juridique. Elle s’appuie sur l’article 73 de la Constitution adoptée par référendum le 16 novembre 2024, qui stipule sans ambiguïté : « Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire. » Cette phrase, d’apparence simple, ouvre une brèche politique majeure. Elle impose à plusieurs membres du gouvernement, élus députés lors des dernières élections, de choisir : siéger à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ou demeurer au sein de l’exécutif. Ce n’est pas une interprétation, c’est la loi. Et cette loi, dans sa clarté, vient rappeler une évidence démocratique que les pratiques politiques avaient peu à peu reléguée au second plan.

L’esprit de cette disposition est de préserver la séparation entre les pouvoirs. L’exécutif gouverne, le législatif contrôle ; les deux ne se confondent pas. Or, au fil des ans, la tentation du cumul est devenue une habitude, parfois même un réflexe de pouvoir. Certains responsables politiques se sont retrouvés à la fois ministres, députés, et détenteurs de hautes fonctions partisanes. Ce télescopage des rôles, au lieu de renforcer l’efficacité de l’action publique, a nourri la confusion et affaibli la crédibilité de l’État. On ne peut pas, dans le même mouvement, incarner la neutralité de l’État et la stratégie d’un parti ; défendre la loi et la voter ; servir l’intérêt général tout en consolidant une position politique personnelle. Sous l’ancien régime du Parti démocratique gabonais, une discipline, certes imparfaite mais réelle, imposait une distinction entre l’appareil du parti et l’administration. Le Secrétaire exécutif du PDG, par exemple, ne siégeait pas au gouvernement. Aujourd’hui, dans une République qui se veut refondée, cette cohérence devrait être la règle, pas l’exception. La Cinquième République ne peut pas se permettre de reproduire les travers d’un passé qu’elle prétend dépasser. Si elle veut instaurer une nouvelle vision politique, elle doit rompre avec les pratiques d’amalgames où la loyauté politique prime sur la responsabilité institutionnelle. Mais la question du cumul n’est pas la seule à fragiliser la cohérence du pouvoir. Un autre mal s’installe, plus sournois : celui de la personnalisation de l’influence. Certains acteurs politiques, au sein ou autour de l’appareil d’État, se présentent désormais comme des intermédiaires obligés, des “faiseurs de rois et de reines”. Ils prétendent détenir une part du pouvoir de nomination, comme si la consultation présidentielle leur conférait une autorité déléguée. C’est une dérive inquiétante, car elle vide de son sens le principe même de la décision souveraine. Le décret émane d’une seule volonté : celle du Chef de l’État. Toute autre lecture relève de la fiction et du mensonge politique. Le danger de ces comportements est double : ils brouillent la hiérarchie institutionnelle et nourrissent dans l’opinion publique l’idée que le pouvoir réel se loge ailleurs que dans les institutions. Or, dans une démocratie en reconstruction, la clarté du pouvoir est une condition de légitimité. Ceux qui se livrent à ces jeux d’ombre affaiblissent non seulement l’autorité du Président, mais aussi la confiance du citoyen dans l’État. L’application rigoureuse de l’article 73 doit donc être comprise comme un test de crédibilité. Elle ne vise pas à humilier ni à sanctionner, mais à restaurer un principe fondamental : celui de la séparation des pouvoirs et de la responsabilité exclusive. Être ministre, député ou maire n’est pas une accumulation d’influences, mais un engagement unique au service d’une fonction. L’heure est venue de choisir, non par contrainte, mais par respect pour les institutions.

La Cinquième République gabonaise se veut un modèle de gouvernance renouvelée. Encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens. Le droit ne sert à rien s’il reste un texte sans application. Il doit devenir une pratique, un réflexe, un socle. En rappelant l’article 73, François Ndong Obiang ne fait pas qu’appliquer la Constitution : il réintroduit la rigueur dans un champ politique qui en a trop souvent manqué. Et cette rigueur, si elle s’étend à tous les domaines nominations, cumuls, influences, sera la véritable fondation d’un renouveau républicain. Il n’y aura pas de Cinquième République forte sans clarté des fonctions, sans fin des illusions de puissance, et sans courage de trancher. Gouverner, c’est choisir. Le moment est venu de le prouver.

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