Digitalisation opaque : comment Oyima a attribué un marché stratégique sans appel d’offres

Une réforme trahie avant même d’avoir commencé

Le Gabon s’est engagé depuis plusieurs mois dans une modernisation numérique de son administration, saluée à plusieurs reprises par ses partenaires techniques et financiers. Dans ce cadre, la digitalisation des régies financières est un chantier prioritaire, censé améliorer la transparence budgétaire et l’efficacité des services de l’État. Mais à l’heure où l’on attendait des résultats concrets et une continuité des efforts engagés, un nouveau marché, attribué en dehors de toute procédure légale d’appel d’offre, vient saper la légitimité du processus. Et pire encore : ce projet redondant intervient alors qu’un dispositif similaire était déjà en cours de déploiement…

Selon plusieurs sources concordantes, le contrat relatif à la digitalisation des régies financières aurait été attribué de manière directe, sans publication préalable ni mise en concurrence, au mépris des règles prévues par le Code des marchés publics. En cause, des décisions opérées au plus haut niveau, notamment par le « Super Ministre » OYIMA, figure centrale de l’appareil exécutif et économique gabonais.

Henri-Claude OYIMA

Une double faute : l’opacité et le dédoublement

Ce marché n’est pas anodin. Il concerne l’ensemble des plateformes informatiques et des systèmes de gestion financière de l’État. Il a un impact direct sur la collecte des recettes, sur la gestion des dépenses publiques et, plus largement, sur la gouvernance nationale. Dès lors, l’opacité qui entoure son attribution est d’autant plus préoccupante. Aussi, pourquoi créer un « nouveau » projet, alors qu’un système était déjà en développement ? Pourquoi ignorer l’existant ? Ce choix, en plus de contrevenir au Code des marchés publics, soulève des doutes sérieux sur l’intention réelle derrière cette opération. 

Le « Super Ministre » qui a récemment dénoncé le fait que 93,25% des marchés publics, en valeur, auraient été attribués en 2025 sans appel d’offres, est le même qui vient donc de confier un projet constitutif d’une réforme majeure, devant symboliser un grand pas vers la traçabilité, la lutte contre la corruption, l’efficacité de la collecte des ressources publiques, en dehors des procédures légalement prévues par le décret n°1140/PR/MEFBP relatif aux marchés publics. Ce décret rappelons-le, est sans ambiguïté : l’appel d’offre est la règle, sauf exception dûment justifiée. Le contournement de cette procédure sape les fondements de l’État de droit et fragilise les efforts entrepris en matière de gouvernance. Une fois de plus, le « Super Ministre » de l’Economie et des Finances, de la Dette et des Participations, en charge de la vie chère, entretien un climat de défiance envers les institutions. C’est selon les mêmes procédés qu’il a fait auditer le Trésor Public et les autres régies financières par son porte-flingue Patrick OBIANG OBAME, DAI du Groupe BGFIBank (cf. EDN du jeudi 12/06/2025).

Des questions légitimes

Les Gabonais, les entreprises et les partenaires techniques et financiers du Gabon sont en droit de savoir : Quelle entreprise a bénéficié de ce marché ? Sur quels critères ce choix a-t-il été opéré ? Pourquoi aucun appel à la concurrence n’a été lancé ? Quel est le montant du contrat et comment sera-t-il exécuté ? Le «Super Ministre » OYIMA a attribué ce projet hautement stratégique à une société de conseil étrangère à peine créée le 12/03/2025 et au capital famélique de 1000 euros.

Source : L’Annuaire des Entreprises – République Française (mis à jour 11/06/2025)

Cette orientation ne passe pas et soulève de nombreuses préoccupations ; -Dévalorisation des compétences internes : les agents des régies financières disposent des connaissances nécessaires pour piloter ce type de projet. En ne les mobilisant pas, on sous- exploite un capital humain déjà opérationnel, ce qui peut engendrer démotivation et sentiment de mise à l’écart. -Absence de concertation : une décision de cette ampleur ne peut se prendre sans une consultation sérieuse des parties prenantes internes. Or, aucun appel à proposition ni aucune évaluation comparative n’a été menée de manière transparente. -Perte de maîtrise : Externaliser un projet stratégique comme celui de la digitalisation des régies financières pourrait réduire le contrôle direct sur les choix techniques, les délais, voire la sécurité des données. -Coûts et cohérence : Le recours à un prestataire externe engendre des coûts supplémentaires. De plus, cela peut créer une rupture avec les solutions déjà en place, que les équipes maîtrisent et font évoluer depuis plusieurs années.

Un tel projet aurait mérité une concertation plus large, et une évaluation approfondie de ce que les services internes pouvaient proposer, en termes de solutions, de délais et de coûts d’autant qu’un projet similaire était déjà en cours. Le « Super Ministre » serait tenté de se défendre en objectant que sa nomination est postérieure à la création de cette société et qu’il s’agirait donc d’un faux procès…Que nenni ! Nous sommes une fois de plus dans un conflit d’intérêt de grande envergure car le dirigeant de OBR PARTNER, Mohamed Zouber Sotbar est un prestataire historique de…BGFI Services, filiale de service et d’ingénierie numérique et informatique du Groupe BGFIBank et dirigée par Charles Ankama, neveu direct du « Super Ministre ».

Mohamed Zouber Sotbar fut d’ailleurs le Directeur de projet dans le cadre de la mission d’accompagnement de la mise en place de… BGFI Services entre 2018 et 2019. Aussi ahurissant que cela puisse paraître, figurez-vous que lors des échanges préliminaires, la société OBR PARTNER a présenté des documents estampillés…BGFI Services. Il est donc évident que ce n’est pas simplement une erreur de pilotage : c’est une manœuvre qui traduit soit une volonté de reprise en main politique d’un projet crucial, soit un contournement délibéré des procédures pour des raisons financières ou clientélistes. Le projet stratégique de digitalisation des régies financières aurait dû incarner une nouvelle ère. Il risque aujourd’hui de symboliser une énième occasion manquée, capturée par des logiques d’intérêt personnel au détriment de l’intérêt général.

Nous appelons donc à la suspension immédiate de l’exécution du contrat de OBR PARTNER, à la publication des résultats et des audits du projet existant, à l’ouverture d’une enquête par les institutions de contrôle et par le Parlement, sur les conditions d’attribution de ce nouveau marché et à un débat public sur la stratégie numérique de l’État, pour éviter le chevauchement coûteux des projets et garantir leur cohérence. Le Gabon n’a pas besoin d’un empilement de contrats à géométrie variable, mais d’une vision claire, rigoureuse et transparente. Si la modernisation de l’État est réellement la priorité affichée, elle ne peut s’accommoder d’arrangements opaques entre puissants.

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